Cancellara (Fabian)

Vous n’êtes peut-être pas fana du guidon, mais pendant que les CRS reçoivent des pavés dans la figure Place de la Nation, les cyclistes du Paris-Roubaix de l’année en prennent dans les fesses à l’occasion de la traditionnelle course de “l’Enfer des Hauts-de-France” (puisque le Nord n’existe plus). Le champion (suisse) de l’équipe Trek-Segafredo est un peu plus en lumière lors de cette édition dont il souhaiterait qu’elle soit l’apothéose de sa carrière, devenant ainsi le gardien de son histoire. Au moins étymologiquement…

Suisse, Cancellara? Ben oui, même si Fabian (pas Fabien) est né en zone alémanique du canton de Bern(e), d’un père d’origine italienne comme vous l’aviez deviné. La plupart des informations que vous trouvez sur le nom font état d’un simple toponyme, le nom d’une petite commune du tréfonds du pays (la province du Basilicate, la ‘plante du pied’ de la botte, au-dessous de Naples). Voire. Avec ça, on est bien avancés, sauf à considérer que, comme beaucoup de travailleurs du Sud, la famille est ‘montée’ un jour chercher du travail en Piémont ou Lombardie; mais rien de mieux sur la racine du mot.

Il s’agit en fait d’une racine très profonde (dans le temps), qui nous renvoie à l’époque impériale romaine, où ‘cancella’ désignait une grille (de porte ou de fenêtre, en tout cas de dimension assez réduite, tout comme dans le portugais actuel). Sur cette base, on a créé la fonction du ‘cancellarius’, autrement dit celui qui deviendra le…chancelier, à savoir, à l’origine, l’huissier de l’Empereur qui se tenait près de la grille (du Palais ou de la salle d’audience), afin d’identifier puis d’annoncer le visiteur.

Ce ‘cancel/cancelar’ va tomber en sommeil quelques siècles, puis réapparaitre en plus grand à l’époque médiévale pour caractériser une clôture ou un enclos. Attention, pas une vulgaire barrière à bétail mais un ouvrage qui rendait particulièrement remarquable une maison dont le propriétaire avait déjà le bon goût de faire construire deux colonnades surmontées d’un lion en pierre de chaque côté du portail à l’entrée de l’allée. De la même façon, on pouvait appliquer l’idée à un hameau ou une cité par les grilles desquelles il fallait passer en montrant patte blanche (et souvent acquitter un droit d’entrée) pour pouvoir entrer ‘en ville’.

Etait-ce le cas de cette commune italienne du canton de Potenza? Toujours est-il que c’est (ça a été) celui de plusieurs villes françaises de langue d’oc, dans lesquelles on note une ‘rue du…Cancéra’ qui n’a rien à voir avec une tumeur maligne mais avec une altération tout à fait ordinaire du ‘cancellar’. Il s’agissait donc d’un passage équipé d’une (large) grille conduisant d’un chemin ou d’un bras de rivière vers le centre urbain, laquelle était gardée par un ‘cancelier’ chargé de contrôler hommes et marchandises.

Alors, si au sud de la Loire on a la forme habituelle de ‘cancel’, le mot est forcément transformé en Chancel (comme l’animateur Jacques), Chancelar ou Chancelier en langue d’oïl…Vous allez me dire: une fois abandonnée la majuscule du nom ‘propre’ pour arriver au nom commun, quel rapport avec la fonction royale ou fédérale politique que nous connaissons? C’est tout simplement que le premier travail du chancelier, nom également donné à un greffier, c’est “d’enfermer dans les grilles du Tribunal” (d’enregistrer) les débats et décisions des juges. Ou, plus symboliquement si vous préférez, d’être gardien de la Constitution et de contrôler le bon fonctionnement de l’Etat (en principe).

Signalons pour terminer que notre pédaleur helvète a, dans son équipe, le surnom de ‘Spartacus’, héros musclé qui a laissé une ‘thrace’ (lui aussi, c’est un balkany) lors d’une historique Révolte des Esclaves à Rome, pendant laquelle il a (forcément) fait sauter quelques grilles vers la liberté. Et pas qu’étymologiquement cette fois.

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