Boyard (Fort)

…qui revient chaque été sur les écrans de la télévision française (1). Le navire de pierre planté en mer (à marée haute) et conçu pour protéger de la menace anglaise la rade et l’arsenal de Rochefort est devenu un véritable emblème, presque un logo, pour des millions de spectateurs qui se délectent aux aventures plus ou moins masochistes des équipes qui se dévouent pour sauter dans le vide ou nager avec les serpents. Mais qu’en est-il du sens…profond de ce ‘boyard’? Très bizarre…

L’ancien « Fort de l’inutile », comme l’avaient surnommé les gens de la région après que sa fonction de défense militaire soit devenue celle d’une prison (2), est en effet l’objet de toutes les rumeurs, y compris étymologiques. Il faut dire que, d’un point de vue linguistique, les portes du Fort sont ouvertes à tous les vents, à commencer par sa situation topographique sur une bande de sable, « la longe de Boyard »; on prétend que le site était noté ‘hollandis banjaert’ (3) sur certaines cartes néerlandaises du 17ème siècle, ce qui aurait fait un jeu de mots inattendu avec le futur statut du monument en prononçant le terme néerlandais à la française en…’bagniart/bagnard’… 

Rien de tout cela, d’autant que la langue française sait exactement ce qu’est un ‘boyard’ (ou parfois ‘boïar’ pour exprimer encore plus directement le son d’origine slave) soit un riche propriétaire terrien de Russie ou d’Europe centrale, l’équivalent d’un seigneur médiéval dans notre France. Historiquement et socialement, l’histoire serait sans doute belle mais n’a aucun appui pour expliquer la présence d’un Poutine des campagnes au bout d’une plage de Charente-Maritime.

Pas plus slaves sont les nombreux Boyard de la région parisienne ou de l’Est de la France, lesquels ne manquent pas de panache puisqu’ils sont considérés comme des variantes de…Bayard, un ‘gentil seigneur’ du 15ème siècle nommé en fait Pierre Terrail né au château de Bayard (Isère) et désormais connu sous le titre de ‘Chevalier sans peur et sans reproche’ (fougueux mais peut-être inconscient des dangers de la guerre à 19 ans)…Bayard est donc seulement le nom du lieu occupé par sa famille, et nos Boyard/Bayard lorrains par exemple ne peuvent revendiquer qu’une étymologie bien plus prosaïque:

L’ancien adjectif ‘bayard’ (sans majuscule) n’est en effet qu’une déclinaison – peut-être même péjorative! – du mot français ‘bay’ ou ‘bai’ en orthographe moderne, inspiré des couleurs de la robe d’un cheval b(a)icolore, soit en général marron et noire (4). Etonnamment, pour un Romain, le mot signifiait exactement…couleur d’hirondelle (noir et blanc?), ce qui tendrait à prouver des cas fréquents de daltonisme…

Signalons également que les Bayard ne peuvent pas non plus prétendre représenter des descendants des Boyer (ou Boyé), lesquels sont fils de ‘bouviers’, des meneurs ou des gardiens de boeufs (s’il y a des vaches avec, ce n’est pas grave), avec un ‘o’ dans la racine initiale (bos, bous en latin) qui ne peut se muter en ‘a’ ici…On va pourtant finir par passer de la vache au…boyau, car un certain nombre de familles, à la fois normandes et toulousaines, portant le nom de Boyard sont décrites comme inspirées des Boyaud ou Boyau tout simplement, bref des marchands de saucisses! 

Heureusement et finalement, la tradition régionale vient apporter la plus probable explication à ce nom, ni russe, ni chevalier, ni bicolore et encore moins charcutier: il s’agit d’un terme technique désignant une partie d’écluse qui permettait de passage des eaux dans les marais salants locaux, un ‘boyart’ beaucoup plus logique vu les activités du lieu, même si un peu plus compliqué à deviner en matière ‘étymo’, et ça c’est fort. Boyard bien sûr…

(1)…et sur ceux de soixante-dix pays étrangers (pas en permanence)

(2) Au 21è siècle, certains en aurait probablement fait une zone de transit pour migrants…

(3) La « promenade des Hollandais », au sens de lieu d’accostage.

(4) Parmi la liste des variantes de ce mot, il y a…Bayrou (voir son article en archives)

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